11 juillet 2015

A Tanger

Crédit LaNave

Dans la ville blanche marocaine, des immigrés subsahariens se sont fait expulser de force par la police. Ils occupaient un quartier où les constructions fleurissent et où une bonne partie des logements sont vides.

Que la police opère dans la violence et tue deux Ivoiriens, c’est choquant, mais malheureusement peu surprenant. Ce n’est pas la première fois qu’un tel acte a été commis. Par contre, la réaction de l’opinion publique marocaine a de quoi nous laisser perplexes. Un flot de racisme déferle sur les réseaux sociaux sans pudeur. Doit-on alors se sentir rassuré en pensant que l’Europe n’est pas la seule à être victime de ce genre de violence ou se sentir effrayé par une nature humaine tant égoïste qu’elle en oublie sa propre condition ?

Les contenus parlent d’eux-mêmes et se passent de commentaire. Ils donnent l’impression d’une triste chaîne alimentaire de qui mangera l’autre en premier. On pourrait croire, du moins, naïve, je l’ai cru (il y a longtemps), que celui qui est victime d’un fléau (celui des préjugés) se mettra en garde pour ne pas répéter des morceaux d’histoires. Et pourtant, les actualités nous montrent le contraire. A partir du moment où il y a un sentiment de pouvoir et de possession exarcerbés, il sera difficile de sentir du respect pour l’autre.

Voici un petit aperçu de commentaires piochés sur des sites de journaux marocains (merci à Abdou de les avoir traduits et publiés):

-Taha Taha
il faut jeter ces Noirs à la mer
-momo sak
Le Maghreb doit agir main dans la main pour anticiper l’explosion démographique de l’Afrique noire, sinon on finira envahi comme en Europe.
Construisons des clôtures, des postes de garde le long de nos frontières, et préservons nos richesses pour NOS enfants. Ne jouons pas au religieux généreux naïf.
– Non
Personne n’a demandé à ces sauvages de venir au Maroc, ni en Europe. Qu’ils rentrent chez eux et arrêtent d’emmerder la moitié du monde, profiteurs de merde ! Bravo aux Marocains, qu’ils leur pètent la gueule, cela les fera réfléchir et peut-être partir !
-bati tago
et c le Maroc ici c pas la France allez case-toi bamboula y’a rien à gratter, ici tu marches ou crèves l abats
– Taha Taha
On a marre de ces Noirs à Tanger, les Espagnols sentent leurs répugnantes odeurs à des kilomètres .

Il est bienheureux de savoir que tout le monde n’a pas réagi de cette manière-à et qu’à Tanger il y a aussi eu une forte mobilisation pour venir en aide aux migrants expulsés. Cependant, il s’agit d’une difficulté que les migrants expriment à l’égard des Marocains dont ils ont peur. Au-delà de l’aventure et des dangers qu’ils encourent, il y a aussi cette situation d’attente et de mépris auxquels ils doivent faire face.

J’ai été à Tanger il y a peu. J’ai rencontré Emmanuel qui est coincé là-bas depuis six mois. Timide et solitaire il avait peur et n’osait pas s’autoriser une vie au Maroc. Ne parler à personne. Ne pas créer de lien. Attendre.

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Peu importe la raison du départ, il y a la simple envie de vouloir faire sa vie. Mais pendant un temps arrêté, le corps s’immobilise et perd le pouvoir de tout. Il n’y a pas de travail ou juste de l’exploitation. Circuler dans les rues est difficile et risqué.

En attendant, des hommes et des femmes se cachent de peur des autres. Certains, qui sans les connaître, les jugent sans se demander quel est le désespoir qui pousse autant de monde à s’infliger une épreuve si difficile et les risques que cela suggère.

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Emmanuel me disait vouloir être transparent, surtout éviter le regard, faire abstraction. Ne pas exister dans un lieu où l’on reste pourtant des mois, voire plus. La conscience d’être exploité par les Marocains et le jugement raciste l’amenait à éviter tout contact, même avec ses frères, cela reste complexe. Dans un tel état de fragilité, il est difficile d’avoir confiance en qui que ce soit.

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